Depuis la rentrée, le ministre déroule dans le cadre du « Grenelle » et de « l’agenda social » des dizaines de groupes de travail.
A travers de multiples thèmes et entrées, ces GT s’articulent et avancent vers un objectif commun de remise en cause de nos statuts et de nos droits pour mettre en place un « management de « proximité ».
Des communiqués de la fédération ont donné les éléments et rendu compte du mandat.
L’objet de cette note est d’établir un premier bilan global pour nous éclairer des objectifs ministériels, afin de donner les informations et analyses de la fédération à nos collègues et préparer avec eux le rapport de force nécessaire pour stopper l’offensive ministérielle.
De manière non exhaustive, voici les principaux thèmes qui ont été abordés, parfois à travers plusieurs GT :
« Revalorisation » des enseignants
« Métiers » de la filière administrative
Situation indemnitaire des personnels de santé
Corps d’inspection (fusion programmée des différents corps)
Parcours professionnels et gestion de proximité (accompagnement PPCR et RH de proximité)
Formation continue
Réforme sur la direction d’école (indemnité, décharges, délégation de compétence)
Lignes directrices de gestion (carrière et mouvement)
Avenir des CAP dans le cadre de la loi de transformation de la fonction publique
États généraux du numérique
Titularisation des stagiaires avec un nouvel entretien professionnels et réforme des concours enseignants (prépro)
Enseignement spécialisé (remise en cause du CAPPEI et introduction d’un enseignement spécialisé dans la formation initiale)
Organisations des épreuves du BAC en contrôle continu
GT à venir :
Conférence scientifique sur le métier de professeur au 21ème siècle
refondation de la relation entre parents et professeurs
Renforcement de l’animation des collectifs pédagogiques
Tout un programme…
I. « Revalorisation » du Grenelle
Le ministre prétend « revaloriser » les personnels. Cette « revalorisation » est perçue comme une provocation, tant par les enseignants (dont la grande majorité est exclue) que par les autres personnels (rien pour les administratifs, rien pour les personnels médicaux-sociaux !)
L’enveloppe budgétaire est de 500 millions, pour tous les personnels. Elle n’est que de 400 millions pour 2021, car la « prime d’attractivité » ne serait effective qu’à partir de mai 2021.
Cette enveloppe budgétaire est à mettre en relation avec les 183€ net d’augmentation indiciaire obtenus par la mobilisation des personnels hospitaliers soit une hausse du budget pour leur rémunération de 7,5 milliards.
« Prime d’attractivité » (173 millions en 2021, 260 millions ensuite)
Ne concerne que les enseignants dont une très grande majorité sera exclue. Elle ne s’appliquera, à la marge, qu’aux débuts de carrière 22 % ou 33 % des personnels en fonction des scénarios retenus.
Prime informatique de 178 millions
Cela donnera 150 € par an ce qui ne couvre absolument pas les frais réels engendrés par l’achat de matériel.
De plus, certains personnels en sont pour le moment exclus (CPE, AESH…) L’attribution de cette prime permettrait de tenir pour acquis que chaque enseignant dispose d’un équipement informatique à des buts professionnels et ouvre la voie à la généralisation du télé-enseignement.
Mesures catégorielles 45 millions en 2021, 51 millions ensuite
Le ministre indique vouloir privilégier les directeurs et chefs d’établissement. La prime en 2020 de 450 € annuel « coûte » 21 millions. Le ministère indique qu’ils ne feront « pas moins » et donc pas plus ce qui ne répond absolument pas aux revendications des directeurs. Une enveloppe de 28 millions concernerait les
chefs d’établissement. On comprend donc qu’il ne resterait rien ou presque pour tous les autres personnels.
Augmentation des taux de passage à la hors classe de 4 millions en 2021, 11 millions ensuite
La faiblesse de cette enveloppe ne permettra pas d’augmenter de manière significative le taux. De plus, avec la logique du PPCR, des personnels sont exclus du passage à la hors-classe (ex-instituteurs, personnels mal évalués et qui ne peuvent plus se rattraper, car leur appréciation est gravée dans le marbre).
II. Vers une gestion de carrière managériale à la France telecom
Le ministre écrit : « En introduction, il faut rappeler que l’un des objectifs du GRENELLE de l’EDUCATION est de transformer en profondeur la GRH du MENJS pour développer notamment une gestion de proximité… ».
(Document 2 du GT 11 parcours professionnels et gestion de proximité)
Les pièces du puzzle se coordonnent (parcours professionnels et gestion de proximité, accompagnement PPCR, Formation continue, RH de proximité, Loi Rilhac, fusion des corps d’inspection…) pour s’en prendre au statut.
PPCR
La mise en place du décret PPCR en 2017 par le gouvernement Hollande-Valls a introduit l’arbitraire dans l’évaluation des personnels et a instauré la logique « d’accompagnement ». Le décret du 5 mai 2017 précise en effet : « Tout professeur des écoles bénéficie d’un accompagnement continu dans son parcours professionnel. Individuel ou collectif, il répond à une demande des personnels ou à une proposition de l’institution. »
Rappelons qu’en remettant en cause la note pédagogique (donc les barèmes chiffrés), PPCR a ouvert la voie aux dispositions contenues dans la loi de transformation de la fonction publique qui vident les CAP de leur contenu. Que pourrait en effet vérifier une CAP s’il n’y a plus de règle ni de barème ? Ce qui a été dans un premier temps en vigueur concernant le déroulement de carrière s’est ensuite étendu au mouvement des personnels.
Les évaluations arbitraires de PPCR étant pleinement mises en œuvre, le gouvernement entend accélérer le volet « accompagnement » qui jusqu’à présent était encore peu utilisé.
Les circulaires PPCR stipulent que « l’accompagnement individuel peut répondre aux besoins exprimés par les personnels ou repérés par l’évaluateur lors d’une visite d’inspection ou dans le cadre d’un entretien… Il peut être initié, à tout moment de la carrière, par les personnels d’inspection et de direction. » (Annexe 1 PPCR-
accompagnement des enseignants du 22 juin 2016).
Ces dispositions ont non seulement pour objet de transformer les enseignants en stagiaires à vie et de « cadrer » les enseignants pour la mise en œuvre des réformes ministérielles dans le cadre de formation-formatage, mais également de transformer la relation à la hiérarchie en instaurant les « rendez-vous carrière » et « l’accompagnement individuel et personnalisé ».
Ainsi, il est proposé pour le 1er rendez-vous carrière : « le regard est d’abord axé sur la pratique professionnelle avec consolidation possible, en lien avec un parcours de formation réalisé et à venir, et avec une éventuelle réflexion sur une réorientation vers d’autres missions au cas où l’enseignant estime qu’il s’est trompé de
métier ». (Document 1 GT 11)
Le ministre propose même d’avancer à 4 ans la tenue de ce rendez-vous de façon à effectuer « le tri » plus rapidement.
Le « dispositif de remédiation des personnels du 2nd degré en difficulté professionnel » (annexe 2) est encore plus explicite. Il indique :
« Les personnels qui connaissent des difficultés professionnelles récurrentes sont accompagnés pour retrouver une activité professionnelle de qualité. Le cas échéant, et au regard des besoins du service, ils peuvent vouloir envisager une évolution professionnelle (mobilité, reconversion professionnelle…)… Lorsqu’à l’issue de
l’évaluation du dispositif de remédiation, des difficultés importantes persistent, l’administration peut être amenée à prendre d’autres mesures :
la reconversion professionnelle si cette piste n’a pas été envisagée en amont, dès lors que l’agent ne peut pas exercer de manière satisfaisante ses fonctions et qu’il est possible de concilier l’intérêt du service et de l’agent : changement de discipline, détachement, congé de formation professionnelle, période de préparation au
reclassement ;
le licenciement pour insuffisance professionnelle lorsque l’intérêt du service justifie cette mesure. Le déclenchement de cette procédure suppose une certaine permanence dans le comportement de l’agent, les actes découlant de sa manière de servir révélant des carences profondes et irrémédiables, l’agent se montrant
incapable de modifier positivement sa manière de servir, malgré l’accompagnement renforcé dont il a fait l’objet. »
Le nouveau dispositif de rupture conventionnelle facilitant le départ « volontaire » des agents est à mettre en relation avec cette logique « d’accompagnement ».
Le ministère étudie également la possibilité de mettre en place un 4ème rendez-vous carrière et propose même la possibilité d’une évaluation « par les pairs ». C’est la logique des évaluations d’établissement dans le cadre du Conseil d’évaluation de l’école et des formations en « constellation » dans le premier degré.
Formation continue
Dans son projet de « Lignes Directrices de Gestion relatives aux promotions et à la valorisation des parcours professionnels », le chapitre « Un accompagnement des personnels tout au long de leur carrière » précise que :
« Les personnels doivent, selon leurs fonctions : faire évoluer leurs pratiques professionnelles et partager leurs expériences entre pairs ».
Une première déclinaison s’est mise en place dans le premier degré avec les formations en « constellation ».
Les enseignants sont regroupés en groupes de six à huit collègues, groupes appelés « constellations » et placés sous la direction d’un conseiller pédagogique. Sur quel temps seraient prises ces formations ? Le ministère répond ainsi : « Le problème du temps de remplacement disponible peut trouver de nouvelles solutions dans la
récente possibilité de rémunération de la formation offerte par le décret n°2019935 du 6 septembre 2019 », décret qui, rappelons-le, permet au ministre d’imposer des formations obligatoires aux enseignants durant les congés !
Et bien sûr, au-delà de ces cinq jours, des « temps informels d’échange » seraient bien sûr possibles… Une remise en cause de la liberté pédagogique au travers d’un flicage permanent. Il s’agirait d’étudier, de préparer des séances au sein de chaque « constellation » puis d’aller observer les séances dans les classes de chacun
des membres de la « constellation » puis de discuter des éléments observés… Ainsi, alors qu’aujourd’hui seuls les inspecteurs de l’Éducation nationale sont fondés à pénétrer dans les classes des personnels, celles-ci deviendraient désormais ouvertes comme des moulins et verraient défiler enseignants et conseillers pédagogiques…
De même, la loi Blanquer a institué un pilotage par l’évaluation. Le ministre a installé un conseil de l’évaluation de l’école. La liberté pédagogique des enseignants est menacée par ce dispositif qui prévoit que les personnels effectuent des évaluations internes (auto-évaluations) et que des évaluations externes soient organisées sans que l’on sache précisément qui seraient les évaluateurs ni ce qui serait évalué, si ce n’est la soumission aux directives du ministre et aux contre-réformes.
Là encore, le lien avec PPCR est immédiat. Il est en effet précisé que « l’accompagnement collectif peut répondre à une demande de l’équipe concernée, mais aussi à une proposition du chef d’établissement, du conseil pédagogique ou de l’inspecteur. Il peut porter sur l’explicitation des réformes… Il peut aussi répondre à tout autre besoin exprimé localement. » (Annexe 1 du décret PPCR du 22 juin 2016).
RH de proximité
Un nouveau « métier » en gestation à l’Éducation nationale est amené à jouer un rôle clé dans le dispositif d’accompagnement : le RH de proximité. Il y en avait 35 en juillet 2019, 234 en novembre 2019 (année de mise en place du dispositif), leur nombre est passé à 311 en juillet 2020.
« L’ambition [du Grenelle] est ainsi de créer un écosystème de l’accompagnement personnalisé de l’ensemble des personnels du ministère dont les conseillers RH de proximité constitueraient un des maillons. » (Document 2 du GT11 parcours professionnels et gestion de proximité).
Leurs missions seraient :
Un accompagnement individuel des personnels
Un « soutien » aux personnels en difficulté
Un appui aux responsables hiérarchiques locaux pour la gestion managériale
Une collaboration avec les bassins d’emplois locaux
Ainsi, comme dans le privé, une logique « RH » se met en place. Ce « métier » viendrait immanquablement se substituer à la chaîne hiérarchique en vigueur ainsi qu’à d’autres corps statutaires tels que les médecins de prévention, les assistants sociaux (corps qui sont soumis aux principes déontologiques de confidentialité).
Loi Rilhac sur la direction d’école
Alors que la députée Rilhac avait introduit un amendement à la loi Blanquer sur les EPSF qui prévoyait la fusion des écoles élémentaires et des collèges et que cet amendement avait dû être retiré de la loi par le ministre face à la mobilisation, une nouvelle loi portée par la même députée et le ministre prévoit de s’en prendre au statut des directeurs et de l’école primaire.
Dans cette proposition de loi, déjà déclinée par le ministère sans même avoir été votée, le directeur bénéficierait d’une « délégation de compétences » des autorités académiques, premier pas vers un statut de directeur supérieur hiérarchique dans les écoles. Cette délégation de compétences de l’ IEN vers les directeurs pourrait s’incarner par le fait que ceux-ci seraient responsables de l’accueil et de l’accompagnement des stagiaires et des néo-titulaires (T1, T2, T3) dans leur école, de la coordination des PIAL dans le cadre de l’école inclusive, de l’articulation des temps de l’enfant au travers des projets éducatifs territoriaux (PEdT), des parcours « inter-cycles » des élèves, à savoir la liaison maternelle/élémentaire et élémentaire/collège… Bref, la délégation de compétences, en plus d’attribuer des tâches supplémentaires aux directeurs, ferait d’eux les contremaîtres de la mise en place de toutes les réformes ministérielles !
Par ailleurs, selon la proposition de loi, les directeurs devraient faire appliquer les décisions du conseil d’école (car avec le projet de loi, les conseils d’école prendraient désormais des décisions alors que jusqu’à présent ils se contentaient de donner un avis) et rendre des comptes à la mairie.
Fusion des corps d’inspection
Le ministère a indiqué qu’une fusion des différents corps d’inspection (IEN du 1er degré, IEN des lycées professionnels, IA-IPR des collèges et lycées) était en préparation. Cette fusion serait effective en janvier 2022.
Cette proposition confirme qu’avec les différentes contre-réformes mises en place (PPCR, loi Rilhac qui donne une délégation de compétence aux directeurs, mise en place de la RH de proximité…), l’avenir des corps d’inspection est bien menacé.
Cette fusion des corps d’inspection aurait immanquablement un impact sur la structure de l’École. Avec la polyvalence du premier degré et la monovalence du 2nd degré (bivalence pour les PLP) organisée par enseignement disciplinaire, les missions des différents corps d’inspection sont totalement différentes. Une fusion des différents corps d’inspection préparerait la mise en place du corps unique pour les enseignants.
En conclusion
Le ministre poursuit ses contre-réformes et, sous couvert de « revalorisation », s’attaque aux statuts. Toutes ces dispositions s’articulent pour le faire voler en éclats ainsi que les droits qui s’y rattachent pour y substituer un non-droit local où la carrière des agents est « managé » par un « accompagnement individuel et collectif », des formations formatage imposées, sous la houlette de RH de proximité, véritable DRH d’une École territorialisée. C’est toute la structure de l’École qui est menacée.
À cela s’ajoute la « formidable opportunité » (pour reprendre les termes de M. Castex) de la situation sanitaire sur laquelle s’appuie le ministre pour organiser la déréglementation et mettre en place une gestion locale (télétravail déréglementé, territorialisation, 2S2C, casse du BAC, des concours…)
Notre fédération joue un rôle particulier contre cette offensive principalement pour deux raisons :
Tout en étant structurés en syndicats nationaux de corps (contrairement à UNSA, CFDT, CGT, SUD par exemple) et donc attachés aux statuts particuliers de chaque corps, nous coordonnons nos mandats dans le cadre de la fédération, contrairement aux syndicats de la FSU par exemple qui agissent dans les différents GT
ministériels de façon totalement autonome et parfois de manière contradictoire d’un syndicat de la FSU à l’autre. Le fonctionnement de notre fédération nous permet d’analyser les attaques ministérielles dans leur globalité et d’intervenir de façon coordonnée.
Notre fédération a voté contre et demande l’abrogation du décret PPCR qui est une arme majeure contre le Statut et qui pose les bases des nouvelles offensives ministérielles. Les organisations qui ont voté pour (FSU, UNSA, CFDT) ont certaines réticences à condamner nettement les attaques statutaires qui se mettent en place
dans le prolongement de PPCR (même s’il y a parfois certaines contradictions qui nous permettent de chercher l’action commune, comme c’est le cas sur les formations en constellations, par exemple).
Nous sommes donc les mieux placés pour donner tous ces éléments aux collègues et préparer avec eux le rapport de force, dans l’unité avec les autres organisations quand c’est possible, pour défendre notre Statut et le cadre de l’École, tout en faisant le lien avec les revendications immédiates qui montent actuellement
des écoles, établissements, services pour les créations de postes statutaires nécessaires et l’augmentation des salaires.